Si jusqu’alors la détention indirecte – c’est-à-dire via le mécanisme français de la Société Civile Immobilière (ci-après « SCI ») – de biens immobiliers en France par des résidents fiscaux suisses était fréquemment recommandée et utilisée, ce tant pour les libertés de gestion et d’organisation que pour les facilités de transmission notamment par voie successorale qu’offrait cette institution, son opportunité a été fondamentalement remise en cause par une récente décision du Tribunal fédéral rendue le 13 décembre 2022.
En substance, le Tribunal Fédéral a dû se prononcer sur la situation d’un résident fiscal suisse, domicilié dans le canton de Vaud et détenteur de la quasi-totalité des parts sociales d’une SCI propriétaire de biens immobiliers français d’une valeur totale estimée à CHF 1’000’000.00.
En France, ce bien était traité fiscalement de façon transparente et la SCI était donc soumise à l’impôt sur le revenu. Dans la mesure où la valeur des immeubles détenus indirectement par l’intéressé étaient inférieures à la franchise fiscale de EUR 1’300’000.00, ce dernier n’était pas soumis à l’impôt sur la fortune immobilière.
En Suisse, le contribuable et résident fiscal suisse est assujetti de façon illimitée et est donc imposé sur l’ensemble de ses revenus et de sa fortune mondiale. Ce principe souffre d’une exception : les biens immobiliers, établissements stables et entreprises situées à l’étranger ne sont pas soumis à l’impôt suisse mais participent à la réserve du taux global, c’est-à-dire qu’ils sont pris en compte dans la détermination du taux d’imposition.
L’ordre juridique suisse ne connaissant pas d’institution comparable à la SCI, il y a lieu d’appliquer la « Convention entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscale » (ci-après « CDI ») attribuant le droit d’imposer les parts d’une SCI dans l’Etat du lieu de situation des biens immobiliers concernés et ce en application des qualifications juridiques de cet Etat.
C’est ainsi que l’intéressé – comme de nombreux autres contribuables avant lui – faisait valoir par devant l’administration fiscale et en application des principes de transparence du droit français en matière de SCI (par renvoi de la CDI), que ses parts de SCI constituaient en réalité une portion de sa fortune immobilière située à l’étranger. Sur la base de cette argumentation, les parts de SCI ne pouvaient ainsi pas être imposées en Suisse mais uniquement être prises en compte au titre de la réserve du taux global, tandis qu’en France, la valeur des biens immobiliers étant inférieures à EUR 1’300’000.00, aucun impôt sur la fortune immobilière ne devait être perçu.
Saisi de ce cas par le contribuable – ensuite d’une décision rendue en sa défaveur par l’administration fiscale vaudoise -, le Tribunal fédéral applique la réserve d’assujettissement effectif consacrée par l’art. 25 B. CDI, lequel prévoit en substance que l’exemption d’impôt sur la fortune en Suisse n’est effective dans ce contexte que si la fortune a déjà été imposée en France. Sur la base de cet article, le Tribunal fédéral traite donc – et ce en contradiction totale avec les principes de souveraineté étatique en matière de qualification fiscale, consacrés par la CID –les parts de SCI du contribuable comme autant d’éléments de sa fortune mobilière soumise à l’impôt (cantonal et communal) sur la fortune en Suisse.
Cette jurisprudence, tout à fait discutable en tant qu’il en résulte que le droit suisse va qualifier différemment les mêmes parts de SCI selon qu’elles ont ou non été taxées à l’étranger (dépendant dans le cas d’espèce de la valeur des biens immobiliers concernés), soulève des questions bien plus profondes de principe de territorialité et de souveraineté étatique.
Aussi, même s’il s’agit d’une jurisprudence issue du Tribunal fédéral, nous considérons – et espérons – qu’il s’agit avant tout d’un cas cantonal. Cette jurisprudence n’ayant pas été publiée dans les arrêts principaux du Tribunal fédéral et n’ayant pas été traduite dans les autres langues officielles du pays, elle ne semble pas avoir immédiatement vocation à s’appliquer dans tous les cantons suisses, mais ouvre une porte que nous aurions préféré voir rester fermée.
Quentin Bärtschi et Philippe Frésard, Kellerhals-Carrard Berne – Suisse