Suisse: Les fondations de famille suisses comme instruments de planification successorale

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La présente contribution sera consacrée aux fondations de famille suisses et leur rôle essentiel dans la planification successorale. Dans ces pages, nous explorerons brièvement l’historique des fondations de famille, leur potentiel en tant qu’outil de planification patrimoniale, les problèmes liés à l’interdiction des fondations d’entretien et la motion Burkart actuellement en discussion au Parlement suisse. Nous aborderons également les aspects fiscaux liés à ces structures.

I.  Historique des fondations de famille

Les fondations de famille ont une longue histoire en Suisse, marquée par une opposition entre deux conceptions fondamentales. Leur origine remonte au droit médiéval lombard et à l’idée d’une transmission graduelle du patrimoine aux héritiers, ce notamment par un démembrement de la propriété entre disposant et héritiers. Cette conception fut reprise, à partir du IXème siècle, dans les différents ordres juridiques médiévaux germaniques qui ont assorti ces attributions périodiques ou uniques, de la possibilité pour le disposant d’imposer une charge, certaines directives, que les héritiers seront, en communauté, chargés de respecter dans la gestion de la masse successorale.

Cette vision déjà moderne de la planification successorale fut interrompue avec l’introduction dans une grande partie de la Suisse du Code Napoléon (aux côtés d’autres ordres juridiques régionaux voire cantonaux), empreint d’idéaux républicains dont l’objectif notamment d’empêcher l’émergence d’une noblesse de facto par l’utilisation de fondations de famille. Le Code Napoléon ne prévoyait donc aucune réglementation des fondations de famille et interdisait les fidéicommis de famille.

Au début du XXème siècle, alors qu’il ébauche la première version du Code civil suisse, Eugen Huber tient compte des différentes réglementations cantonales prévoyant l’existence des fondations de famille et décide de codifier cette institution, en gardant en mémoire les cautèles du droit napoléonien. Depuis, le droit de la fondation de famille n’a pas évolué, mais est depuis quelques années un sujet important dans l’actualité juridique suisse.

II.  Potentiel des fondations de famille suisses

En droit suisse, la fondation est une personne morale composée d’un actif alloué à un but précis. La fondation suit une destinée propre et elle permet à une personne de séparer totalement un certain nombre d’actifs, voire l’intégralité de son patrimoine, respectivement de sa masse successorale. De par ces caractéristiques, la fondation de famille constitue donc un instrument de planification successoral en puissance :

  • Gestion structurée du patrimoine : Les fondations de famille suisses permettent une gestion structurée du patrimoine familial. Elles offrent un cadre juridique solide pour la préservation des actifs et la transmission aux générations futures et permettent de donner des instructions précises quant à l’emploi ou à l’usage qui doit être fait des biens attribués à la fondation. Les fondations de famille permettent un transfert graduel du patrimoine aux descendants.
  • Institution de durée indéterminée : Les fondations de famille ne prennent fin qu’une fois leur but devenu inatteignable, illicite ou immoral.
  • Confiance : Par le truchement des fondations de famille, la tâche de gérer les biens familiaux est déléguée à un collège de personnes de confiance, le conseil de fondation, investi de cette mission. Ces fondations devront pour exister être inscrites au registre du commerce suisse. Ces éléments ainsi que la stabilité de la place juridique et économique suisse font des fondations de famille la garantie d’un environnement sûr pour la gestion du patrimoine familial.

III.   Problèmes liés à l’interdiction des fondations d’entretien

Les fondations de famille suisses sont soumises à une restriction importante à savoir l’interdiction des fondations d’entretien. Cette restriction est un sujet de débat important. Actuellement, les fondations de famille ne peuvent être créées que dans quelques buts bien précis, et les fondations d’entretien sont spécifiquement interdites. Elle limite la capacité des fondations de famille à couvrir les frais de vie courante des bénéficiaires (frais d’éducation, d’établissement et d’assistance des membres de la famille). Cette restriction, qui remonte à une époque où les besoins et les structures familiales étaient différents, est aujourd’hui considérée comme dépassée. Cependant, elle continue de poser des problèmes pour la planification patrimoniale et successorale. Cela a conduit certaines familles à opter pour des trusts étrangers ou d’autres structures plus flexibles.

Inopportunité de l’interdiction des fondations d’entretien

L’interdiction des fondations d’entretien constitue un obstacle majeur dans l’emploi des fondations de famille comme instrument de planification successorale. On constate qu’il en résulte en pratique une importance pratique de la fondation de famille extrêmement limitée et que ce manque dans l’ordre juridique suisse s’est traduit par un recours aux instruments d’autres ordres juridiques nationaux.

Cette restriction, qui remonte à une époque où les besoins et les structures familiales étaient différents, est aujourd’hui considérée comme dépassée.

  • Évolution des besoins : Il y a cent ans, l’interdiction des fondations d’entretien avait sa raison politique d’être. Cependant, les familles modernes ont des besoins plus diversifiés en matière de gestion patrimoniale et de transmission d’actifs.
  • Transfert graduel : Actuellement, il n’existe pas d’instrument adéquat en Suisse pour planifier la transmission graduelle d’un patrimoine familial aux descendants. Les fondations de famille devraient pouvoir être créées à d’autres fins que celles prévues par le droit en vigueur.
  • Recours aux instruments étrangers : Face à cette limitation, de nombreuses personnes se tournent vers des trusts anglo-saxons ou des fondations de famille étrangères (notamment liechtensteinoises). Ces structures étrangères sont reconnues par le droit suisse, mais elles échappent pratiquement aux contrôles nationaux.

IV.  La Motion Burkart : vers une modernisation du droit des fondations de famille

La lacune de l’ordre juridique suisse relative à un tel instrument de planification successorale s’est faite ressentir et depuis bientôt 20 ans, des propositions de réforme en la matière ont été présentées. Dernière, la motion Burkart, a été déposée par le conseiller aux États Thierry Burkart et est actuellement en discussion au Parlement suisse. Elle vise à moderniser le droit des fondations de famille suisses et propose de lever l’interdiction des fondations d’entretien.

Cette réforme a pour axes fondamentaux :

La motion Burkart, bien qu’elle propose une avancée significative dans la modernisation du droit des fondations de famille, ne prévoit pas de modifications concernant leur traitement fiscal. Cette absence de réforme fiscale est une source de préoccupation, car elle pourrait limiter l’efficacité des changements proposés :

  • Statu quo fiscal : Les fondations de famille suisses sont actuellement imposées sur leur bénéfice et leur capital. Les distributions aux bénéficiaires sont considérées comme un revenu imposable.
  • Double imposition : Il existe un risque de double imposition économique pour les fondations de famille. En effet, les attributions effectuées par le fondateur en faveur de la fondation feront l’objet d’un impôt, tandis que les versements aux bénéficiaires seront taxés comme revenus du bénéficiaire. Le même substrat fiscal sera donc imposé deux fois.
  • Conséquences négatives : Sans une réforme fiscale, les fondations de famille pourraient continuer à subir des conséquences fiscales négatives, ce qui les rend moins attractives par rapport à d’autres instruments de planification successorale.

Ces problématiques fiscales pourraient, dans le contexte d’une fondation de famille destinée à transmettre graduellement le patrimoine d’un disposant en faveur de ses héritiers, très simplement être réglées par une considération de la transmission du patrimoine en transparence. Une telle approche implique de ne plus considérer l’attribution à la fondation comme un transfert imposable, mais à s’intéresser uniquement à la proximité du disposant vis-à-vis du bénéficiaire final. Cette solution permet d’éviter une double-imposition malheureusement et, pour le cas où le bénéficiaire final est un descendant ou un membre de la famille du fondateur, de bénéficier d’avantages fiscaux voire de l’exonération fiscale applicable très largement en matière d’impôt sur les successions et donations.

En conclusion, les fondations de famille suisses offrent un potentiel considérable dans la planification successorale, mais requièrent pour ce faire un changement drastique de paradigme du Code civil suisse. Bien que la motion Burkart soit un pas dans la bonne direction, il est essentiel de souligner l’importance d’une réforme fiscale complémentaire. Sans celle-ci, les fondations de famille risquent de ne pas réaliser leur plein potentiel en tant qu’outil de planification successorale. Il est donc crucial que les discussions législatives futures incluent des considérations fiscales pour assurer l’efficacité et l’attractivité des fondations de famille suisses.

Auteur: Quentin Bärtschi, Kellerhals-Carrard Berne Suisse

Tags: Suisse

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