À la suite de l’adoption de la loi confortant le respect des principes de la République et de la lutte contre le séparatisme, les notaires français ont vu renaitre de ses cendres un principe du droit des successions internationales qu’ils pensaient appartenir au passé : le droit de prélèvement.
L’objectif du texte était de lutter contre les discriminations homme et femme et en particulier la règle prévue par la charia, qui attribue aux filles la moitié de la part revenant aux garçons. La rédaction du texte d’une grande médiocrité, non seulement rate l’objectif poursuivi, mais de plus crée une insécurité et une imprévisibilité juridiques que le règlement européen sur les successions avait considérablement réduit.
Aux termes de la nouvelle rédaction de l’article 913 du Code civil français, qui s’applique aux successions ouvertes depuis le 1er novembre 2021 (y compris si des libéralités ont été consenties par le défunt antérieurement à cette date), un droit de prélèvement compensatoire visant à rétablir les héritiers dans leurs droits réservataires pourra être exercé sur les biens situés France sous réserve de deux conditions cumulatives :
(1) Le défunt ou l’un de ses enfants réside habituellement dans un pays de l’Union européenne ou en possède la nationalité ;
(2) La loi étrangère applicable à la succession ne prévoit aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants.
Deux illustrations :
- Un marocain musulman après avoir vécu en France repart au Maroc. Il a deux enfants, un garçon et une fille, tous deux musulmans. Le père décède au Maroc. Sa succession est régie par la loi marocaine, en application des règles de DIP françaises et marocaines. Le droit marocain a repris les règles du droit musulman classique excluant les non musulmans de la succession d’un musulman et n’accordant aux filles que la moitié de la part d’un garçon. Le système marocain apparait donc comme un système réservataire puisqu’il prévoit une dévolution successorale aux enfants (la liberté donnée par testament reste très marginale). L’article 913 ne permettra donc pas à la fille de revendiquer sur les biens situés en France, son complément de droits dans la succession de son père gérée au Maroc. Elle pourra en revanche attaquer, comme par le passé, sur le fondement de l’ordre public international le plus classique.
- Un américain ayant vécu toute sa vie aux Etats-Unis a deux enfants. Il a acquis une résidence secondaire en France. L’un des enfants est résident aux Etats Unis, l’autre s’est installé en Suède. Lors de la succession du père réglée par le droit américain, l’enfant résidant en Suède ou même celui résidant aux Etats Unis pourra invoquer l’article 913 pour se faire attribuer sur le bien français une indemnité compensatoire dans la succession américaine.
En conséquence, ce sont principalement les successions relevant du monde anglo-saxon qui vont se trouver dans le champ de ce texte, alors même que la Cour de cassation française a, par deux décisions récentes, refusé de considérer les lois étrangères ignorant la réserve héréditaire comme en soi contraires à l’ordre public international français (Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-13.151 et Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-17.198), dès lors qu’il existe un mécanisme protecteur des intérêts des enfants.
En conclusion, un texte mal rédigé, anachronique, créant une insécurité et une imprévisibilité juridiques, et qui, de plus, rate l’objectif poursuivi (l’inégalité homme femme dans la succession), celui-ci pouvant déjà être attaqué pour contrariété à l’ordre public international.
Il n’est pas à exclure cependant que l’article 913 du Code civil puisse, à l’issue d’une question prioritaire de constitutionnalité, être jugé contraire à la Constitution française ou encore que le texte soit attaqué devant la Cour de Justice européenne pour l’insécurité qu’il crée sans que cela soit justifié par un intérêt suffisant.
Dans cette attente, le retour anachronique du droit de prélèvement impose aux notaires français une réévaluation des stratégies de planification successorale mises en place par le passé lorsque la loi désignée ne connait pas la réserve héréditaire.
Auteurs : Pascal JULIEN SAINT-AMAND, Eugénie GUICHOT, Paris