Angleterre: Contrats de mariage et régimes matrimoniaux

folder_openFamille / Succession
Contrats mariage Angleterre

En Angleterre & Pays de Galles, les contrats de mariage offrent aux couples l’occasion de personnaliser, d’une manière qui leur semble juste, le futur partage de leurs biens matrimoniaux et de leurs biens non matrimoniaux en cas de divorce ou de dissolution du mariage. Ces contrats se concentrent principalement sur ce qui se passera en cas de séparation, mais ne sont pas contraignants pour les tribunaux lors d’une procédure de divorce. Cette incertitude peut paraître insolite aux avocats pratiquant dans des juridictions de droit civil, où le choix d’un régime matrimonial ou l’application d’un régime par défaut peut apporter un élément de clarté en ce qui concerne la façon dont seront traitées les finances à la fois durant un mariage et lors d’un divorce, sans qu’il soit nécessaire de préparer un contrat sur mesure. Les informations ci-dessous résument la façon dont les tribunaux anglais des affaires familiales traitent les contrats de mariage anglais et les régimes matrimoniaux lors d’un divorce ou d’une dissolution.

Contrats de mariage

Le point de départ de la loi anglaise relative aux contrats de mariage a clairement été la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Radmacher v Granatino[1]. Dans son jugement d’avril 2010, la Cour suprême a recommandé aux tribunaux de respecter les ententes prénuptiales et postnuptiales, sauf lorsque cela serait injuste pour tout enfant mineur de la famille ou nuirait à ses intérêts. La Cour espérait ainsi que des modifications seraient rapidement apportées à la législation, qui conféreraient force obligatoire auxdites ententes ; cela ne s’est toutefois pas produit. Plus de dix ans plus tard, la loi demeure telle qu’exposée par Lord Phillips au paragraphe 75 de Radmacher : « Le tribunal donnera effet à un contrat de mariage librement conclu, chaque partie ayant pleinement conscience de ses implications, à moins que, dans les circonstances du cas concret, il ne soit pas équitable de tenir les parties à leur accord. »

Au fil des ans, ce jugement a en pratique été subdivisé pour produire une série de garanties desquelles sont familiers les avocats de la famille pratiquant dans cette juridiction. Voici quelques-unes des meilleures pratiques pour conseiller les clients en matière de contrats de mariage.

  • Le contrat doit être librement conclu. Il ne doit y avoir aucune preuve de contrainte, d’influence indue, de fraude, de fausse déclaration ou d’erreur.
  • Le contrat doit être signé très en amont du mariage (bien que les tribunaux se soient abstenus de proposer un délai particulier, de nombreux avocats de la famille veilleront à ce que le contrat soit signé au moins 28 jours avant le mariage – un délai qui trouve son origine dans un document de consultation de la Commission des lois de 2014 n’ayant pas pris force de loi – afin d’éviter tout soupçon de pression indue lorsqu’un contrat est négocié à une date très proche du mariage).
  • Chaque partie doit avoir reçu l’ensemble des informations et des documents relatifs à sa décision de signer le contrat. En pratique, cela signifie généralement que chacune des parties a divulgué sa situation financière (y compris l’ensemble des héritages futurs et des intérêts découlant des trusts) dans une annexe jointe au contrat.
  • Chaque partie devrait recevoir, indépendamment de l’autre partie, des conseils juridiques de la part d’un avocat spécialiste de la famille. Bien que cela ne soit pas essentiel, il est recommandé et assurément souhaitable d’établir que les deux parties ont pleinement mesuré et compris les effets du contrat.
  • Le contrat doit répondre aux besoins et ne doit pas nuire aux intérêts raisonnables de tout enfant de la famille.

Si l’ensemble de ces conditions sont satisfaites, il est probable qu’un tribunal confirmera le contrat de mariage si celui-ci venait à être contesté à l’avenir. Toutefois, il est important de garder à l’esprit que le cas Radmacher ne crée pas une présomption du caractère contraignant des contrats de mariage. Aucun contrat n’est à même de supplanter la compétence des tribunaux des affaires familiales en Angleterre & Pays de Galles. Ces garanties ont plutôt vocation à fournir un cadre clair aux personnes qui préparent les contrats de mariage et dispensent des conseils les concernant quant aux éléments qui favoriseront la future prise en compte desdits contrats. Ils ont pour principal objectif de conférer au couple une certaine autonomie sur les finances du mariage en cas de divorce ou de séparation, tout en veillant à ce que le tribunal conserve un rôle de contrôle guidé par des motifs d’équité. Les véritables atouts et avantages d’un contrat de mariage résident dans le fait que, dès lors que ces conditions sont satisfaites au moment de la signature, le tribunal accordera généralement un poids considérable aux modalités du contrat, et cela peut avoir pour conséquence que le tribunal rendra une décision différente de celle qu’il aurait rendue si un tel contrat n’avait pas existé.

En l’absence d’un contrat de mariage, ou dans des circonstances où le tribunal choisit d’accorder peu ou pas de poids à un contrat, le tribunal rendra lors du divorce une décision financière qu’il considérera juste et raisonnable, en tenant compte des éléments prescrits par la loi applicable et des principes découlant de la jurisprudence. Cela impliquera de prendre en compte l’ensemble des circonstances pertinentes au moment de la rupture de la relation. Compte tenu du caractère discrétionnaire du droit anglais de la famille, cela peut générer un élément d’incertitude quant au niveau probable des futures décisions financières en cas de divorce/dissolution, que certains couples estiment insuffisant, en particulier lorsqu’ils sont rattachés à une autre juridiction offrant la possibilité d’opter pour un contrat de régime matrimonial.

Prise en compte des régimes matrimoniaux en Angleterre

Le régime matrimonial n’est pas un concept connu du Common Law, au titre duquel le mariage n’affecte pas la propriété des biens ni ne donne lieu à une responsabilité face aux dettes. Ces questions sont traitées par d’autres moyens. Les tribunaux anglais des affaires familiales sont toutefois de plus en plus confrontés aux régimes matrimoniaux de droit civil, en particulier dans le cadre de procédures de divorce impliquant des couples ayant des connexions européennes. Fait important, en Angleterre & Pays de Galles, le tribunal appliquera uniquement la loi anglaise en lien avec les divorces et les finances. Les couples ayant des connexions internationales qui divorcent dans cette juridiction sont souvent surpris d’apprendre que leur contrat de mariage pourrait ne pas avoir de caractère contraignant devant un tribunal anglais des affaires familiales, en particulier s’il cela aurait été le cas dans le pays dans lequel il a été signé. L’applicabilité ou non d’un contrat de mariage étranger en Angleterre dépend des circonstances ; ainsi, la mesure dans laquelle les garanties décrites ci-dessus ont été respectées sera notamment prise en considération, et l’équité des modalités du contrat sera évaluée au regard des principes du droit anglais.

Un certain nombre de cas récents illustrent la façon dont un tribunal anglais des affaires familiales a estimé le poids qu’il conviendrait d’accorder à un régime matrimonial si les parties venaient à divorcer dans cette juridiction.

Dans Z v Z[2], les parties ont conclu un contrat de mariage sous le régime de la séparation de biens en France, devant deux notaires et conformément au droit français, environ une semaine avant la date du mariage. Il n’a pas été contesté que le contrat avait été librement conclu par les deux parties, qu’il avait été établi en bonne et due forme et qu’il aurait été contraignant si la procédure de divorce avait été engagée en France. Il a également été admis que l’époux ne se serait pas marié avec l’épouse si le contrat n’avait pas été conclu. Au moment du divorce, tous les biens (environ 15 millions de £) étaient considérés comme des biens matrimoniaux, qui auraient été, faute de contrat, également partagés. Il a été établi qu’au moment de conclure le contrat, l’épouse en avait pleinement compris les implications. Le tribunal a donné effet au choix du régime matrimonial fait en France en écartant le principe du partage. Compte tenu du contrat, le tribunal a limité la somme accordée à l’épouse à ses besoins, généreusement évalués à 6 millions de £ (40 % de l’ensemble des actifs). Le tribunal a estimé que l’exigence d’une « pleine appréciation des implications [du contrat] » ne s’accompagnait pas de l’exigence d’avoir reçu des conseils spécifiques quant à l’applicabilité du droit anglais au contrat en question. Il a été noté que si cela avait été le cas, alors tout contrat conclu à un moment où une expatriation en Angleterre & Pays de Galles n’était pas à l’ordre du jour serait rejeté. Il a été précisé que pour qu’un contrat ait une incidence dans cette juridiction, il faudrait que les parties aient souhaité que le contrat soit valable dans toute juridiction dans laquelle ils étaient susceptibles de divorcer, et plus particulièrement s’ils venaient à divorcer dans une juridiction appliquant un système de distribution équitable discrétionnaire. Le tribunal a toutefois formulé une mise en garde, selon laquelle les parties devront généralement avoir reçu des conseils juridiques à cet effet et devront généralement avoir procédé à une divulgation réciproque pour que le contrat soit effectif.

Cette décision peut être comparée à celle rendue dans l’affaire B v S[3], qui concernait un régime matrimonial catalan de séparation de biens adopté par les parties à l’occasion de leur mariage, dans laquelle le tribunal n’a pas donné effet au choix du régime matrimonial. Lorsqu’il a évalué l’approche qu’il conviendrait d’adopter, le tribunal a mentionné le document de consultation de la Commission des lois no 198 « Marital Property Agreements » (11 janvier 2011) et ses conclusions relatives aux systèmes de droit civil (paragraphe 5.38). L’avis de la Commission des lois était que toute analogie avec le système de droit civil européen en matière d’ententes prénuptiales était critiquable. Le motif avancé était que dans les juridictions appliquant un système de communauté immédiate ou de communauté différée des biens, les contrats de mariage sont conclus dans le contexte d’un régime matrimonial par défaut prenant automatiquement effet au moment du mariage, même si la possibilité d’adopter un autre régime existe. Toutefois et a contrario, pour les contrats de common law, il n’existe pas de régime par défaut et, en concluant un tel contrat, les couples effectuent le choix conscient d’écarter tout régime discrétionnaire au profit de la certitude. Il a été noté que dans l’affaire Radmacher, l’entente prénuptiale était un contrat qui avait été rédigé sur mesure pour ce mariage et qui dépassait largement le cadre du simple choix d’un régime de propriété particulier. Il s’agissait donc d’un contrat qui se rapprochait bien davantage d’une « entente prénuptiale de common law » personnalisée. Le tribunal a conclu qu’aucune des parties à l’affaire B v S n’était pleinement consciente des implications du contrat ou du régime matrimonial par défaut au titre duquel elles s’étaient mariées, et a établi une distinction entre contrats matrimoniaux de droit civil régissant la propriété et ententes prénuptiales de common law négociées. Par conséquent, le contrat a été complètement écarté lors de l’estimation par le tribunal de la somme à accorder.

Dans XW v XH[4], les parties ont signé un contrat italien de « separazione dei beni » au moment de leur mariage. Le tribunal a approuvé et adopté les observations formulées dans l’affaire B v S concernant le fait qu’une convention matrimoniale de droit civil régissant la propriété avait un caractère et un objectif différents de ceux d’une entente prénuptiale de common law. Le tribunal a admis qu’il y aurait des cas dans lesquels il serait approprié pour le tribunal de confirmer un contrat contenu dans le choix d’un régime matrimonial, mais a considéré que dans un nombre bien plus important de cas, il serait injuste de lier l’époux ou l’épouse à un tel contrat. En l’espèce, le tribunal était convaincu que l’épouse avait compris pour l’essentiel la nature et l’effet du régime de separazione dei beni. Toutefois, il n’a pas été d’avis qu’elle avait compris les implications légales pour un divorce de son choix de régime et a constaté qu’elle ne connaissait pas bien la langue du contrat lorsque celui-ci a été conclu. Le tribunal a décidé que compte tenu des circonstances, il serait manifestement injuste de lier l’épouse au contrat et n’a par conséquent accordé aucun poids au contrat au moment de déterminer le partage des actifs matrimoniaux.

Dans l’affaire Versteegh[5], en revanche, le tribunal a préféré l’analyse des régimes matrimoniaux formulée dans l’affaire Z v Z à celle formulée dans l’affaire B v S, et maintenu l’entente prénuptiale suédoise. Les parties ont signé un contrat de mariage suédois la veille de leur mariage en Suède. L’épouse n’a pas reçu de conseils juridiques avant la signature de l’entente prénuptiale et a déclaré n’avoir même pas lu le contrat avant le mariage. Le juge a conclu en première instance que l’épouse avait « pleinement conscience » des effets du contrat. En appel, la Cour d’appel a reconnu que l’entente prénuptiale avait été signée dans un pays où les ententes de ce type sont monnaie courante, généralement rédigées simplement et généralement signées sans conseils juridiques ni, de fait, divulgation. La cour a décidé qu’en pareilles circonstances, lorsqu’un tel contrat est présenté à un tribunal anglais, il ne serait pas acceptable d’interpréter Radmacher de sorte qu’un époux soit considéré comme n’ayant pas pleinement compris les conséquences de l’absence de conseils juridiques, au seul motif que certains pays dans lesquels les époux auraient choisi de vivre leur vie maritale pourraient appliquer un système discrétionnaire. La Cour d’appel a insisté sur le « changement radical » qu’avait représenté Radmacher en ce qui concerne l’approche qu’avaient les tribunaux anglais des affaires familiales des ententes prénuptiales : non seulement les ententes prénuptiales ne sont plus considérées comme contraires à la politique publique en Angleterre & Pays de Galles, mais dès lorsqu’il est avéré que les parties en apprécient pleinement les implications, le tribunal doit désormais donner effet à une telle entente, à moins qu’il soit injuste de le faire.

Ces cas et leurs conclusions diverses soulignent les incertitudes entourant le traitement des régimes matrimoniaux de droit civil lorsque les parties divorcent en Angleterre & Pays de Galles, et les circonstances dans lesquelles ces contrats ont été conclus seront déterminantes pour leur prise en compte. Pour qu’un tribunal confirme un contrat de régime matrimonial, il est essentiel que les époux aient bien compris l’ensemble des effets dudit contrat. Pour que cette compréhension soit avérée, il n’est pas nécessaire que les deux parties aient reçu des conseils juridiques et, plus spécifiquement, qu’elles aient été conseillées quant aux conséquences que pourrait avoir le contrat dans une juridiction autre que celle dans laquelle il a été signé et dans laquelle elles pourraient vivre pendant leur mariage. De plus, lorsque le contrat est signé dans un pays où la signature de tels contrats est monnaie courante, où ils sont rédigés simplement et communément signés sans conseils juridiques ni divulgation, la décision formulée dans Versteegh laisse entendre qu’il a toutes les chances d’être confirmé.

En pratique, il sera plus facile d’établir que les deux parties ont compris toutes les implications du contrat si celui-ci a été rédigé dans une langue que connaissent et comprennent les deux parties, tel que mentionné dans l’affaire XW v XH. Faire en sorte que les deux parties aient aussi au moins une compréhension générale de la situation financière de l’autre partie permettra également de démontrer plus facilement qu’elles avaient compris la façon dont le contrat s’appliquerait.

Par ailleurs, même s’il apparaît, conformément à Radmacher et à Versteegh, qu’une absence de conseils juridiques n’aboutira pas nécessairement au refus par un tribunal anglais de confirmer un contrat de mariage de droit civil, il convient de préciser que la réception de conseils juridiques indépendants constituera une preuve évidente de la pleine compréhension du contrat par les parties et est souhaitable chaque fois que possible.

Enfin, et c’est peut-être là le plus important, afin d’essayer d’anticiper le règlement de tout problème éventuel, dans les cas où les parties ont des connexions internationales, des conseils spécialisés quant à l’incidence de tout contrat et de ses conséquences pour les parties en cas de divorce devraient être recherchés dès le départ dans chacune des juridictions concernées.

 

Autheur: Hannah Minty, Russell-Cooke, Londres

 

[1] Radmacher v Granatino [2010] UKSC 42

[2] Z v Z (No. 2) [2011] EWHC 2878 (Fam)

[3] B v S (Financial remedy: Marital property regime) [2012] EWHC 265 (Fam)

[4] XW v XH [2017] EWFC 76

[5] Versteegh v Versteegh [2018] EWCA Civ 1050

Related Posts

Menu